Des Chinois dans nos campagnes – l’Express
23/03/2018
Château Monlot est chinois – il fĂŞtait sa restauration
07/04/2018Les invités du Point par Charles Consigny ; publié le 23/03/2018 Le Point.fr
Le sinologue Philippe Barret, qui publie « N’ayez pas peur de la Chine » (Robert Laffont), dĂ©nonce l’ignorance et les illusions des Occidentaux.
« C’est une erreur de croire que la Chine deviendra un jour une dĂ©mocratie »
Philippe Barret, intellectuel naguère proche de Jean-Pierre Chevènement, est l’un des rares sinologues avertis que compte la France. Ancien professeur de littĂ©rature française Ă Shanghai et Ă PĂ©kin, il signe un essai percutant et diablement Ă©rudit aux Ă©ditions Robert Laffont, au titre explicite : N’ayez pas peur de la Chine. On s’y plonge comme on voyage et l’on ressort curieux, très curieux de rendre visite Ă nos amis chinois. Interview.
Que pensez-vous de la réélection du prĂ©sident Xi ? Ses possibilitĂ©s de réélection illimitĂ©es dans le temps ont fait couler beaucoup d’encre…
J’en pense ce que je pense de la possibilitĂ© illimitĂ©e pour un prĂ©sident de la RĂ©publique française d’ĂŞtre réélu ou de la possibilitĂ© non moins illimitĂ©e pour un Premier ministre britannique ou pour un chancelier allemand d’ĂŞtre confirmĂ© dans ses fonctions. La seule diffĂ©rence, qui n’est pas mince, j’en conviens, c’est que dans ces trois derniers cas, il faut ĂŞtre réélu dĂ©mocratiquement ou dĂ©signĂ© par une assemblĂ©e elle-mĂŞme Ă©lue dĂ©mocratiquement. Ce ne sont pas des conditions requises en Chine.
Que pensez-vous du système de gouvernement chinois ?
Le système politique chinois n’a rien Ă voir avec la dĂ©mocratie telle qu’on la pratique en Occident. C’est un système de pouvoir assez autoritaire, qui souvent n’est pas très Ă©loignĂ© du système impĂ©rial que la Chine a connu pendant plus de trois millĂ©naires, encore que le système actuel soit plus rigoureusement encadrĂ© par un parti politique comprenant plus de quatre-vingts millions de membres. Mais il n’y a rien, en Chine, qui ressemble Ă notre libertĂ© de la presse, Ă nos libertĂ©s syndicales ou Ă la sĂ©paration des pouvoirs (exĂ©cutif, lĂ©gislatif, judiciaire).
Les Chinois ne veulent ni n’ont jamais voulu dominer le monde
Ă€ quoi rĂŞvent les jeunes Chinois ? Et les vieux ?
Tous rĂŞvent Ă un niveau de vie plus Ă©levĂ© : les jeunes pour eux-mĂŞmes ; les vieux pour leurs enfants et leurs petits-enfants. Ils rĂŞvent aussi Ă un monde moins polluĂ© et – mais c’est un rĂŞve auquel ils ne croient guère – Ă une sociĂ©tĂ© moins corrompue.
La Chine domine-t-elle déjà le monde ? Est-ce sa volonté ?
La Chine est très loin de dominer le monde. Elle est aujourd’hui la deuxième puissance Ă©conomique mondiale, par son produit intĂ©rieur brut. Elle sera bientĂ´t la première. Mais rapportĂ© au nombre des habitants, ce PIB est celui d’un pays encore pauvre, loin en tout cas de la situation des pays dĂ©veloppĂ©s. Le budget militaire chinois et l’Ă©tat de ses forces militaires sont sans rapport avec ceux des États-Unis. Ce sont les États-Unis qui dominent le monde. Par ailleurs les Chinois ne veulent ni n’ont jamais voulu dominer le monde. La Chine n’a jamais eu de colonies outre-mer. Elle n’a pas, comme les États-Unis, parsemĂ© la planète de ses bases militaires. Les Chinois veulent ĂŞtre souverains en leur pays – et donc ĂŞtre entourĂ©s d’amis et non de puissances hostiles, comme s’y emploient les États-Unis pour leur propre compte. Ils veulent une bonne croissance de leur Ă©conomie. Ils n’ont pas et n’ont jamais eu la prĂ©tention d’ĂŞtre les dĂ©tenteurs d’une idĂ©ologie ou d’une religion universelle.
Nous avons pratiquĂ© le commerce des esclaves. Les Chinois ne l’ont jamais fait
Doit-on, au prĂ©texte de ne pas faire preuve d’arrogance, s’abstenir de reprocher aux autoritĂ©s chinoises le peu de cas qu’elles font des droits de l’homme ?
Il est bien certain que les Chinois ont une tout autre conception des droits de l’homme que la nĂ´tre. Les droits de l’homme, tels que nous les concevons aujourd’hui, ne font pas partie des idĂ©es auxquelles les Chinois sont attachĂ©s. Au reste, notre conception actuelle des droits de l’homme est assez diffĂ©rente de ce qu’elle Ă©tait dans le passĂ© – sous l’Ancien RĂ©gime ou, plus près de nous, Ă l’Ă©poque coloniale. Nous avons pratiquĂ© le commerce des esclaves. Les Chinois ne l’ont jamais fait. Si l’on pense que notre conception prĂ©sente des droits de l’homme a vocation Ă ĂŞtre partagĂ©e par le monde entier, on est Ă©videmment en droit de militer pour son adoption par les Chinois. Je ne le pense pas.
Comment la France et l’Europe sont-elles perçues en Chine ?
Comme des pays Ă©trangers, c’est-Ă -dire des pays diffĂ©rents de la Chine. Depuis que La Dame aux camĂ©lias a Ă©tĂ© traduit en chinois, les Chinois pensent (ou disent) que les Français sont « romantiques » – ce qui n’est pas, Ă leurs yeux, un dĂ©faut. D’autre part, les Chinois apprĂ©cient la culture française et la place de la culture dans notre pays. Ils gardent le souvenir de la France comme le premier pays occidental qui, contre la volontĂ© amĂ©ricaine, a reconnu diplomatiquement la Chine moderne, « communiste ». Ils ne dĂ©testent pas non plus l’Europe, dont ils espèrent qu’elle deviendra un jour, comme la Russie et comme la Chine elle-mĂŞme, aux cĂ´tĂ©s des États-Unis et non sous leur pouvoir, un acteur majeur d’un monde multipolaire.
Il faut lire quelques romans classiques chinois comme Au bord de l’eau ou Le RĂŞve dans le pavillon rouge pour se faire une idĂ©e de l’Ă©trangetĂ© et de la beautĂ© de la littĂ©rature chinoise
Comment vous, sinologue averti (et vous rappelez qu’ils ne sont pas nombreux), percevez-vous la Chine ? Quelle est la plus grande erreur que nous faisons dans notre manière de voir ce pays ?
Pour moi, la Chine est un pays Ă©tranger. Mais je pourrais presque dire, comme Claudel, que « je suis tombĂ© amoureux de la Chine ». Ce que je trouve fascinant dans la Chine, c’est l’ampleur et la diversitĂ© de sa culture, c’est sa civilisation, complètement diffĂ©rente de la nĂ´tre. Il faut lire quelques romans classiques chinois comme Au bord de l’eau ou Le RĂŞve dans le pavillon rouge pour se faire une idĂ©e de l’Ă©trangetĂ© et de la beautĂ© de la littĂ©rature chinoise. L’erreur la plus rĂ©pandue en France Ă propos de la Chine est double. D’une part l’ignorance et l’absence de tout effort pour apprendre Ă connaĂ®tre ses 3 500 ans de civilisation. D’autre part l’idĂ©e qu’un jour la Chine deviendra un pays comme les pays occidentaux. DĂ©jĂ aux XVIIe et XVIIIe siècles, les jĂ©suites, qui Ă©taient pourtant fort avisĂ©s, croyaient qu’ils parviendraient un jour Ă faire de la Chine un pays chrĂ©tien. Ils se sont trompĂ©s. C’est la mĂŞme erreur que nous commettons aujourd’hui en laissant croire que la Chine deviendra un jour une dĂ©mocratie adepte des droits de l’homme. Cette perspective n’est pas rĂ©aliste.
Dans quelle mesure le système d’Ă©criture logographique des Chinois les influence-t-il ?
Ce système entraĂ®ne tous les jeunes Chinois Ă de gros efforts de mĂ©moire et de prĂ©cision dans la perception et le dessin des caractères. C’est un atout. Mais il comporte aussi un dĂ©faut : sa maĂ®trise requiert beaucoup de temps. Pendant ce temps-lĂ , on n’Ă©tudie pas les mathĂ©matiques ou l’histoire.
Un mot qui vous évoque la Chine ?
Le sentiment national.
Un parfum ?
Le thĂ© Longjing (puits du dragon, qui pousse sur les bords du lac de l’ouest).
Un souvenir ?
Un petit souvenir : alors que je donnais, dans une université de Pékin, des cours sur la littérature française, un étudiant prend la parole pour me dire que durant trois jours de la semaine, je ne pourrais donner mes cours, parce que ces jours étaient ceux de la fête des Morts. Alors une étudiante lève le doigt : « Monsieur le professeur, est-ce que vous accepteriez de venir nous faire des cours en remplacement les trois dimanches suivants ? »
Un poème ?
Sans doute celui de ThĂ©ophile Gautier, « Chinoiserie », que je cite dans mon livre. Mais aussi des poèmes chinois, puisqu’aussi bien la poĂ©sie tient une place immense dans la littĂ©rature chinoise et, particulièrement, les poèmes de Li Bai, un bon vivant du VIIIe siècle.
Une Ĺ“uvre d’art ?
Les pierres sauvages qui décorent les appartements et les jardins.
« N’ayez pas peur de la Chine », de Philippe Barret, Robert Laffont 360 p. 20 euros
le Vin, le Rouge, la Chine
Edition n°12
Les 155 vignobles français achetés par les Chinois sont décrits : 143 Châteaux de Bordeaux, 10 vignobles en France, 2 Maisons de cognac.
Pourquoi ces vignobles sont-ils en vente ? Pourquoi les Chinois les achètent-ils ?
250 pages et 350 photos de Laurence Lemaire, préfacées par Alain Juppé et Alain Rousset.
Version numĂ©rique en PDF – 8€, et sa version papier – 20€ sont en vente sur demande