28 02 15 – Karin Maxwell a été négociante en Angleterre et importatrice de vins de Bordeaux pendant 17 ans. Près de Saint-Emilion, elle a créé son agence immobilière puis elle s’est associée à Doug Storrie et Michael Baynes en 2009. Ils sont spécialisés dans la transaction viticole et travaillent pour les investisseurs chinois
«Grâce à mes connaissances en vin, je m’étais déjà orientée vers l’acquisition de domaines viticoles. Les vendeurs restaient discrets comme les transactions ; le milieu était fermé mais ils ont compris que j’ai des relations internationales, m’explique-t-elle. La plupart des vendeurs français n’a plus les moyens d’investir pour une meilleure production ; ils se sont tournés vers les acheteurs étrangers et je travaille avec les Chinois, entre autres.» Agent immobilier n’est pas un métier facile : pour bien conseiller ses clients, Karin évalue la qualité de la propriété : château, chai, vignoble ; elle connaît tous les paramètres économiques, fiscaux, comptables… Quelques vendeurs préfèrent rester discrets par rapport à leur voisinage ; d’autres ne souhaitent pas de publicité car ils craignent que leurs clients n’achètent plus la production de leur vignoble s’il est passé aux mains chinoises.
La société d’aménagement foncier et d’établissement rural intervient pour favoriser l’acquisition par un jeune repreneur, un agriculteur français ; c’est son rôle. « La Safer n’est pas un agent immobilier mais elle sait estimer la terre agricole. Nous nous complétons car je sais évaluer le prix des bâtiments, du château et de ses pierres.» Les dossiers sont trop complexes pour être confiés à des amateurs. Les acheteurs qui pensent gagner de l’argent en se passant du service et des conseils des experts risquent d’échouer.
La Safer examine la candidature de l’acquéreur ; son projet doit être en conformité avec la politique d’aménagement et de développement local. Cette entreprise d’Etat dépend des ministères du budget et de l’agriculture ; cela rassure l’acquéreur étranger. Elle s’assure que celui-ci va poursuivre l’activité viticole et préserver le patrimoine : ‘’le contrôle des structures’’ est un questionnaire de 20 pages qui lui accordera la licence pour exploiter les terres. La Safer peut refuser sa demande d’achat. Si elle lui donne l’agrément, le domaine doit rester une exploitation agricole pendant 10 ans, et une demande doit être faite pour un bâti supplémentaire. «Le compromis de vente français est très précis ; les Chinois n’ont pas la culture de l’acte écrit et ils commentent chaque détail jusqu’à la signature finale, me dit Hervé Olivier, son directeur régional. Le plus souvent, les Chinois rachètent des propriétés qui sont à vendre depuis longtemps et qui n’intéressent pas les gens du coin en raison d’un modèle économique difficilement tenable.»
Elle a un master de vin délivré par l’INSEEC. Depuis avril 2013, elle s’occupe des clients chinois pour Maxwell-Storrie-Baynes et gère les traductions lors des transactions. Originaire de Chengdu, la jeune chanteuse a quitté la province du Sichuan après le terrible tremblement de terre de 2008. Elle s’est installée chez un ami de sa famille à Bordeaux. Elle a travaillé au château Grand Mouëys avant d’être embauchée par Karin Maxwell. Lily parle quatre langues parfaitement. Elle est la seule chinoise a avoir sa carte professionnelle d’agent immobilier, délivrée par l’Etat : cette crédibilité est essentielle pour les investisseurs chinois.
«Pour 3 millions d’euros, les Chinois peuvent acheter un joli château dans la région de Bordeaux.» Lily est soumis au contrat de confidentialité et ne peut pas se permettre de me donner des exemples ni les prix d’acquisitions. «Pour ce même prix, il aura un petit appartement à Hong Kong ou une maison à Pékin.» Ils ne vont pas y vivre mais c’est un investissement sur pour une résidence secondaire. «Les Chinois commencent à s’intéresser aux vignobles de Grand Cru classé qui sont à la vente car leurs vins sont très connus. Mais même s’ils achètent des petites appellations, ils achètent avant tout un style de vie, comme ils achètent un sac Vuitton ou du Hermès. Ils achètent l’Histoire, l’ambiance. Certains clients veulent la beauté du château, de son bâtiment, d’autres veulent la qualité du vignoble.» Si une centaine de châteaux a été achetée par des Chinois, il y a une centaine de châteaux à la vente dans cette région ; je trouve cela énorme. «Non, non, c’est normal, me dit Lily, depuis que l’agence de Karin Maxwell travaille dans ce domaine, c’est la moyenne. La vente et l’achat d’un vignoble est un business. C’est comme les transactions immobilières des maisons ou des appartements. Ce nombre n’est pas dû à la crise économique en France. Les Français ont un passé fortuné, même si c’est difficile en ce moment ; les Chinois sont des nouveaux riches.»
Li Lijuan est allée au Portugal fin 2014. Les Chinois souhaitent devenir propriétaire dans ce pays ; ils auront la possibilité d’obtenir un titre de séjour beaucoup plus facilement qu’en France, ou un visa, et ainsi avoir accès à l’espace Schengen.
Lily va se marier à la fin du printemps 2015 avec son beau français. Je lui souhaite tout le bonheur du monde. Tél : + 33 (0) 5 57 84 08 82
Maxwell-Storrie-Baynes est une filiale de la Maison Christie’s. Depuis l’été 2013, Christie’s International Real Estate est associée à la branche qui vend des vins aux enchères ; elle a ouvert un bureau à Hong-Kong spécialisé dans l’acquisition de propriétés viticoles. Li Lijuan est son correspondant à Bordeaux.
La génération qui a de 55 à 70 ans pense à vendre son domaine car elle a des enfants qui ne veulent pas hériter d’un vignoble en indivision, ou qui vivent loin, ou qui ont une autre profession. «Je constate aussi que les jeunes, à cause du malaise économique français, préfèrent être salariés d’une entreprise plutôt qu’être leur propre patron, dit Karin. C’est devenu très compliqué d’être à son compte en France, à cause de la ‘’paperasse’’, des lois, des charges. Les seniors ont été à leur compte mais ne peuvent pas transmettre cette envie à leurs enfants car ils croulent sous les papiers administratifs depuis une dizaine d’années. Aujourd’hui, un vigneron passe autant de temps à son bureau que dans ses vignes. »
– Mais les Chinois, eux aussi, vont passer autant de temps dans cette paperasse.
« En effet. Lorsque j’organise les visites de châteaux, je fais venir un notaire et un comptable pour leur expliquer toutes les obligations relatives aux lois françaises. Je pense être le seul agent à opérer de cette manière. Je leur conseille d’embaucher une personne pour gérer cette partie administrative et je leur trouve une solution. Le repreneur a l’obligation de garder le personnel en place ; c’est une bonne chose car l’équipe est la mémoire de la propriété, elle est précieuse.» Le futur propriétaire chinois ne craint par notre législation car il ne s’en occupera pas personnellement ; déjà en Chine, il délègue ce genre de problèmes, de ‘’paperasse’’.
«Les Sud-africains, qui ont des vignobles en Afrique du Sud, craignent leur politique locale et achètent des petits vignobles ici en vue d’un éventuel déménagement ; leurs deux périodes de vendanges sont inversées et peuvent être effectuées par la même équipe. Nous sommes sollicités aussi par des Américains fortunés ; ils aiment les chartreuses du XVIIIème siècle typiques de la région. Les Chinois préfèrent les bâtiments hauts avec des tours.»
Début 2012, l’agence Maxwell-Storrie-Baynes a vendu à Jinshan Zhang le château Grand Mouëys à Capian, une propriété de 170 hectares autour d’un superbe château ; son vignoble de 60 hectares produit un vin en appellation Cadillac Côtes de Bordeaux.
Château Milord à Grézillac a été vendu à Edwin Cheung le 6 décembre 2013 ; sur ses 51 hectares, 45 hectares sont plantés de vignes en appellation Entre-deux-Mers.
Château Quercy à Vignonet a été vendu à Chen Li en avril 2014 ; son vignoble est en appellation Saint-Émilion Grand cru.
Château de Birot à Béguey a été vendu le 19 décembre 2014 à Chen Miaolin ; son vignoble a 24 hectares en appellation Cadillac Côtes de Bordeaux.
Château Renon à Tabanac c’est le 100ème château acheté par un Chinois. Il a été vendu le 29 décembre 2014 à James Zhou ; ses 8 hectares de vignes sont en appellation Cadillac Côtes de Bordeaux.
Début 2013, Karin a vendu à la famille Mottet le château de Seguin, vaste propriété de 173 hectares à Lignan-de-Bordeaux ; Bruno Mottet me racontait : «Pour exporter mon vin en Chine, c’est la Cave du Dynastie installée à Bordeaux qui m’a le plus aidée : la patronne Leelee Huang a aimé mes vins et m’a fait confiance. Puis, une scène du film chinois ‘’Jiang Ai’’ a été tournée dans le parc de mon château et ça m’a aidé à vendre mon vin lors des manifestations de 2011 : en effet, j’avais été photographié entre les deux célèbres acteurs et cette photo a eu un impact conséquent.»
Karin Maxwell reprend : « Il faut savoir négocier avec les Chinois, savoir ce qu’il faut dire et ne pas dire ; ils sont différents des Français et des Anglais : ils vont s’attacher à des choses que nous trouvons peu importantes et négliger un point fondamental pour nous.»
Il a des bureaux dans plus de 100 pays. Son actionnaire principal est le français François Pinault. «Notre base de données est internationale ; Christie’s a la clientèle de toutes les banques du monde entier. Notre communication est mondiale. ‘’Bringing Bordeaux to the world and the world to Bordeaux’’, dit Karin, ‘’Emmener Bordeaux vers le monde et le monde à Bordeaux’’ est le maître-mot de l’agence.» Tél : + 33 (0) 5 57 84 08 82
Une des difficultés du marché de l’immobilier est d’identifier les transactions frauduleuses. Tracfin, Traitement du Renseignement et Action contre les Circuits FINanciers, organisme créé en 1990 par le Ministère de l’Économie et des Finances, développe une économie saine en luttant contre les circuits financiers clandestins. C’est un service d’anti-blanchiment. Les mouvements de capitaux russes et ukrainiens sont examinés depuis des années ; Tracfin est aidé par le gouvernement chinois lui-même, qui lutte contre les fraudes et les contrefacteurs.
Pour en savoir plus :
Lire le Vin, le Rouge, la Chine sur les investissements des Chinois dans les vignobles français : les 112 domaines sont décrits. 232 pages et 350 photos de Laurence Lemaire, préfacées par Alain Juppé et Alain Rousset. Versions papier et numérique 8€ seulement, sur www.levinlerougelachine.com