un Œnologue français en Chine – Hommage à Gérard Colin

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09 02 19 – Souvenirs avec mon ami Gérard Colin : interviews pour mon livre le Vin, le Rouge, la Chine

un Œnologue français en Chine – Hommage à Gérard Colin créateur de vignobles – 2 ans déjà

Dans les années 1990 en Chine, 15 millions de quintaux de céréales étaient utilisés pour produire de l’alcool : le jiu. Pour restituer à cette céréale sa fonction première : être consommée au lieu d’être bue, le Gouvernement chinois a relancé la culture de la vigne en 1987. 600 vignobles pour 400 000 hectares de vignes ont été plantés mais sans véritable notion de terroir ou de qualité : juste pour faire du vin, le désinhibant qui préserve le lien social.

Gérard Colin, œnologue bordelais, avait amélioré Grace Vinyard, le vignoble de Monsieur CK Chan, chinois de Hong Kong et de sa fille Judy Leissner qui présidait l’exploitation.
Monsieur Chan a fait fortune grâce au charbon du Shanxi. Le Shanxi est une région à l’Est du plateau de lœss formé par le fleuve jaune ; c’est un mélange de fines parcelles de sable du désert de Gobi, de calcaire, d’argile et de débris organiques, que des vents réguliers emportent sur de grandes distances ; le lœss constitue une terre extrêmement fertile.
En 1995, Monsieur Chan a créé Grace Vineyard et ses 80 hectares de vignes. Grâce à Gérard Colin, un des 1ers étrangers reconnus à faire du bon vin en Chine, la 1ère année a été médaillée lors de concours internationaux.
Gérard avait commencé le travail de la vigne à ses 19 ans en 1962, à Saint-Emilion ; il était passé par toutes les filières du métier.

J’ai rencontré Gérard Colin en février 2006, extraits :

Il est 10h30. Dans le chai, Gérard Colin goûte un cabernet sauvignon 2004. Tous les matins il fait la tournée des 40 cuves avec Liang et une stagiaire de 18 ans qui apprend à goûter. Nos verres se remplissent d’un merlot qui pique parce qu’il est plein de gaz carbonique. Un vrai fruit ! Il ressemble à un jus de raisin. «J’ai respecté la matière première ! C’est ce qu’on recherche de plus en plus : arriver à faire s’exprimer le fruit au maximum.» En 2001, Liang ne connaissait rien au vin ; il est devenu le maître de chai de Gérard. Les hommes, huit chinois, s’activent ; ils sont logés à la vignerie, leurs familles habitant à une bonne heure de route. Nous goûtons, à même les barriques en chêne américain, français ou hongrois. Gérard Colin a fait des essais avec des barriques chinoises : elles sont belles, beaucoup moins chères mais n’apportent rien au vin, dit-il. Il a contacté un nouveau fournisseur bordelais. Liang remue le verre, renifle, boit, crache et acquiesce. «Liang est une pure merveille ! s’exclame Gérard. La plus belle chose qui me soit arrivé ici c’est d’avoir rencontré ce mec ! »
Au magasin nous nous installons devant des carnets de dégustation pour évaluer apparence, limpidité, goût, persévérance, odeur, intensité, franchise…d’un vin brut de cuve ou filtré.  Chenin et chardonnay, cabernet et merlot…Tout ces cépages me tournent la tête. La discussion bat son plein entre Gérard, Liang et le directeur de la vignerie. A cette époque, les 500 000 bouteilles annuelles de Grace Vineyard sont distribuées en Chine uniquement, par le célèbre espagnol Miguel Torres. Pour l’entreprise familiale hongkongaise c’est un prestige que d’être conseillée par un Français ; Gérard est sur les catalogues et toutes les notes d’informations sur Grace Vineyard ; il est mentionné sur les étiquettes des vins. Il a même vu sa photo sur la plaquette d’un vignoble qu’il n’avait pas conseillé !
Monsieur Chan connaissait sa réputation et avait goûté son travail. Il ne s’est pas trompé. «Dès la première année nous avons eu des médailles de qualité à Paris, Bordeaux et Shanghai.».
Susan Johanna Jakes, la correspondante du Time (célèbre hebdomadaire américain), arrive de Pékin pour interviewer Gérard. «J’aimerais créer un vin 100% chinois, avec une variété de raisins chinois, lui dit-il. Greatwall, Dynasty, Dragon seal sont des vins issus du cabernet mêlé à d’autres cépages. Moi, je préfère travailler sur des petits vignobles, comme un produit de luxe, l’artisanat d’art. Chaque œnologue fait un vin différent et on ne fait pas du vin pour soi ; on s’adapte à l’évolution des goûts.»

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Il est midi. Pour l’apéritif, Gérard propose du vin de noix… Le fromage nous manque. «J’adore le fromage de chèvre mais avec du vin blanc, du sancerre ou du pouilly fumé, me dit Gérard Colin, du munster avec un vin d’Alsace, du camembert avec du cidre, du roquefort avec un Porto…Je crois très moyennement à l’association mets-vins ; c’est du snobisme. Lorsque je fais du vin, je pense à son goût à lui et pas aux nouilles ou au tofu que mangent les Chinois. Je cherche à faire du bon en priorité. La cuisine chinoise s’associe mal au vin, car avec 18 plats servis au centre de la table et picorés à tout va, les seules boissons qui s’adaptent sont l’alcool, le thé ou la bière ; le seul vin qui peut passer c’est le blanc, un muscat proche du vin jaune chinois, un vin oxydatif… acide et sucré : ils vont parfaitement avec ces mélanges de plats. Mais la couleur rouge étant le symbole de fortune et du bonheur en Chine, elle produit peu de vins blancs. Je propose des associations mets-vins à certains restaurants qui servent à l’assiette.»

Gérard poursuit : « Un litre de Bai Jiu c’était les 1 000 calories indispensables aux ouvriers chinois, leur carburant ; ils ne mangeaient pas de viande tous les jours mais ils étaient ivrognes. Et là où les travaux de force n’existent plus, ce vin n’a plus de raison d’être. Le Français est passé de 150 litres de consommation de vin par an, à 50 litres en l’espace de 30 ans. Aujourd’hui, le Chinois boit 33 litres de bière par an, zéro il y a 20 ans parce qu’il buvait du Bai Jiu ; le thé est délaissé au profit des soft drinks etc… Nous sommes dans des produits de mode plus que de culture ou de tradition. Pour apprécier le vin, il vaut mieux être servi à l’assiette. Et ça n’empêche pas la convivialité. »

Nous partons pour la promenade digestive dans le vignoble. Il fait très froid sous un soleil étincelant et la température va atteindre -25° jusqu’à fin mars. Le cycle végétatif court limite le choix des cépages. Les sarments ont été achetés en avril 1997 à un pépiniériste charentais. Avec Jiang Jingzhong, Gérard Colin contrôle la taille. «La vigne est une liane. Les Chinois n’ont pas la culture des plantes pérennes, or, la taille entraîne du long terme ; avec une mauvaise taille, on ne peut pas plier les bois et envisager une mécanisation ; de plus, à cause du climat, nous devons enterrer les pieds de novembre à avril.» En se relevant, Gérard s’exclame : «Regarde ce Lœss ! C’est magnifique, Je pense qu’il n’y a pas de grand vin sans un bel environnement.» Le domaine de Grace Vineyard est loin de tout, à une heure des villes de Ping Yao ou de Taiyuan et je tire mon chapeau à Gérard de rester ici plusieurs semaines d’affilée, même s’il dit aimer ‘’être seul’’.

Après cet entretien de 2006, Gérard a quitté Grace Vinyard pour Lafite Rothschild. Voyez la vidéo : https://www.plongeeaucoeurdelachine.com/chapitre/menu/
Grace Vinyard est devenu l’un des vignobles les plus réputés de Chine. En juin 2012, Judy Leissner, sa Présidente, a été nommée the Asian Wine Personality of the Year, un prix pour sa contribution dans le vin : elle a mis en valeur le potentiel de la qualité des vins chinois.
Après son travail pour château Lafite, Gérard Colin a développé un vignoble en agriculture BIO dans la région du Xinjiang, à Turpan, sur la route de la soie.
En 2014, il a créé un nouveau complexe oenotouristique dans le Shandong pour Monsieur Chen, en photos ci-dessous lors de sa visite à Saint-Emilion le 13 juin 2015. Lire aussi l’article sur Gilles Pauquet : https://www.hebdovinchine.com/gilles-pauquet-vignoble-taila-chine/

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Gérard nous a laissé son livre, Lao Gao, Paysan chinois, ; il était appelé ainsi par ses amis chinois. Il est édité par François Boucher. www.amazon.fr/Lao-paysan-chinois-Gerard-Colin/dp/1698393237

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Gérard est décédé d’une crise cardiaque le 8 février 2017. Il était un grand œnologue qui me manque déjà. “Merci pour ton accueil chaleureux en 2005, tes visites épicuriennes et amicales aux Noëls à Saint-Emilion, ton nez, tes rires, ton humour, ta compréhension“. Lolo

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le Vin, le Rouge, la Chine

L’interview et mes quelques mois avec Gérard Colin en Chine sont racontées dans mon livre.
Les 162 vignobles français achetés par les Chinois sont décrits : 150 Châteaux de Bordeaux, 10 vignobles en France, 2 Maisons de cognac.
Pourquoi ces vignobles sont-ils en vente ? Pourquoi les Chinois les achètent-ils ?
255 pages et 350 photos de Laurence Lemaire, préfacées par Alain Juppé et Alain Rousset.
Version numérique en PDF mise à jour au quotidien – 8€, et sa version papier en librairie mise à jour tous les 3 mois sont en vente sur ce blog et sur le site www.levinlerougelachine.com

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2 Comments

  1. Anonyme dit :

    …union de pensée dans ce bel hommage rendu à l’ami Gérard Colin un grand professionnel mais aussi artiste poète sensible un humaniste aimé.
    Jacques Blaquiere
    Ex DG groupe Cave Château Monbzillac.

  2. Anonyme dit :

    Merci pour cette article.
    Il me manque beaucoup.
    Bien à vous.
    Pierre Colin

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