Michel Rolland, oenologue – interview

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15 01 19 – Depuis les années 1970, Michel Rolland initie les mutations majeures de la vinification et de la viticulture. Au laboratoire et sur le terrain, de découvertes, de doutes, de déductions osées puis avérées, ses travaux sont déterminants pour la connaissance, la compréhension et la communication des exigences de la viticulture. Michel Rolland a été un des premiers œnologues à arpenter la vigne

Michel Rolland
Le secret c’est le travail, être vaillant, être enthousiaste

Œnologue vient du grec oinos : vin, et logos : science

Le métier de Michel Rolland : goûter, conseiller les vignes à planter, les rendements à ne pas dépasser, la vinification la plus appropriée, la durée de l’élevage, l’assemblage des raisins et des parcelles, le tout avec une remise en question de tous les instants.

« Je suis né le 24 décembre 1947 à Libourne. C’est mon grand-père maternel, Joseph Dupuy, qui m’a appris la météo, le temps, l’amour de la nature, le contact de la terre, au Château Le Bon Pasteur à Pomerol, raconte Michel Rolland. Mon grand-père paternel, André Rolland, fut à l’initiative d’une des premières caves coopératives de Gironde. Mon frère aîné voulant être avocat, il était évident que c’est moi qui reprendrais la propriété. Au début, j’ai aimé le vin parce que je devais l’aimer. Tout mon temps libre, je l’occupais avec mon père dans les vignes et le chai.

Après le lycée agricole et l’Ecole de viticulture de la Tour Blanche à Sauternes, mon bon niveau m’a permit d’intégrer la faculté d’œnologie de Bordeaux pour avoir mon D.N.O. (Diplôme National d’Œnologue qui existe depuis 1956). J’ai suivi les cours du lundi de Monsieur Peynaud : il a été le premier à tenir un discours sur le vin sans emphase, sans fioritures, sans mots savants, sans tous ces adjectifs devenus aujourd’hui ridicules. Ses propos étaient accessibles, émaillés de mots simples et il excellait à exprimer sensations fortes et plaisir avec simplicité. Emile Peynaud savait déguster, non pas seulement avaler trois gouttes et tenir des discours péremptoires. Peynaud a apprit aux vignerons à considérer et à travailler leur vigne en fonction du terroir. Il m’a donné l’envie de comprendre ce que je buvais.

A la fac, j’ai aussi rencontré Dany qui allait devenir ma femme.

Dany et moi avons repris le laboratoire d’œnologie de Jean Chevrier en 1973. A cette époque, mon métier ne jouissait d’aucun prestige et le consulting n’existait pas. C’était le début de la mise en bouteille et les gens avaient besoin d’analyses. J’ai saisi l’opportunité. J’ai commencé à interpréter les résultats, à donner des conseils. Je voulais que tous les défauts du vin me deviennent intelligibles.

Dans ces années là, la place d’un œnologue était dans un laboratoire, en blouse blanche, derrière ses pipettes. Le premier château que j’ai conseillé est Château Dassault : c’est lui qui m’a sorti du laboratoire. Ma femme Dany œuvrait à mes côtés, et à la gestion et à l’administration. Je me suis fait la promesse de donner de plus vastes ambitions à ma profession. Je voulais être un homme de terrain, mener de front le laboratoire, les conseils et les propriétés.»

Michel Rolland est œnologue lorsque l’œnologie passe du curatif au préventif. « Le plus dur ce n’est pas d’appliquer des techniques ou des recettes, mais de faire évoluer les habitudes, explique t-il. Il faut être performant à la vigne pour comprendre son cycle, le respecter et moins intervenir, moins traiter. J’ai du répéter cette vérité immuable : plus on goûte les raisins avant de les vendanger, plus on devient performant dans l’évaluation, même si la dégustation demeure fatalement subjective. Au chai, nous devons travailler à mieux extraire les notes fruitées du raisin pour obtenir des vins encore plus expressifs. J’ai mobilisé toute mon énergie pour convaincre les propriétaires que les barriques anciennes ne génèrent que des défauts. Des propriétaires perspicaces ont fini par mesurer la dangerosité des machines à vendanger ; pour les autres, les vignes ont été préparées afin de les recevoir. J’ai du être persuasif, au début, pour couper les raisins verts en juillet ! Il s’agit pourtant de supprimer les feuilles basses pour donner aux raisins une meilleure exposition ; il a fallu vingt ans pour que l’idée de l’effeuillage fasse son chemin ! Comme le tri à la main. Enfin, le rééquilibrage de la charge par pied a eu pour heureuse conséquence un état sanitaire : avec des grappes plus aérées, le raisin est homogène, équilibré et sain ; avec des fruits plus concentrés, on élabore des vins plus denses.

Toutes ces évolutions ont agité la profession.

Mon activité de consultant prenait de l’ampleur comme mes déplacements à l’étranger.

En 1977, déjà, je m’intéressais à la complexion des sols ; aucun laboratoire n’effectuait alors de telles recherches. On est toujours confronté à une matière, et il ne s’agit pas de la traiter de la même façon en Argentine, aux Etats-Unis, en Chine ou à Bordeaux entre autres. Il faut essayer de comprendre le terroir pour obtenir les plus jolis raisins, car on a toujours de meilleurs vins avec de beaux raisins qu’avec de bons œnologues ! J’ai découvert des terres que l’on croyait ingrates. J’ai constaté qu’on peut faire des bons vins n’importe où, qu’on peut améliorer les vins de n’importe quel endroit. Mais les Grands vins dépendent du terroir.

Pour conseiller une propriété, je détermine la composition des sols, je m’assure que les variétés de cépages s’adaptent aux différents terrains ; on étudie la maturité des raisins, on affine les procédures de vinification. J’adapte les techniques à chaque vignoble, je personnalise en fonction des cépages. C’est en respectant l’équilibre naturel des parcelles qu’on améliore les vignobles et qu’on donne une identité propre au terroir ; la science œnologique, en corrigeant les défauts, a permis de sublimer leur expression de part le monde.

L’irrigation a permis de repousser les problèmes climatiques. Aujourd’hui, il existe des vignes sous l’Equateur, au Japon, en Chine. Mais il sera toujours nécessaire de s’adapter à l’environnement, au sol, au climat, et c’est pour ça que le terroir est inimitable.

Le terrain réveille, bouscule, éclaire ; on se doit d’en exploiter les promesses, écrit Michel Rolland. Tout séjour à l’étranger se révèle un accélérateur d’expériences et permet une connaissance plus hardie de la diversité, de la complexité. L’embardée dans l’imprévu combat les implacables certitudes. En descendant d’un avion, je peux entreprendre de longues séances de dégustation ou parcourir les vignobles en tout sens. Un bon œnologue c’est d’abord des mollets saillants.

Autant de pays, autant d’aventures et de belles rencontres ; on oublie la fatigue et les obstacles ; on ne conserve que le beau. Le vin est assurément le meilleur des passeports.

L’assemblage est sans doute le domaine où Michel Rolland touche au génie, même si « cela échappe à toute logique et à toute recette, dit-il. J’ai assemblé des cépages que l’on pensait inconciliables. L’objectif n’est pas de produire des premiers crus partout dans le monde, ni des vins identiques ; l’objectif est de permettre au vin d’avoir la meilleure expression de son terroir. L’assemblage s’échafaude comme un tableau. Une fois la fermentation terminée, les lots sont plusieurs fois goûtés par l’assembleur ; il détermine une quantité et une diversité qui permettent ensuite de les marier. Là, des aptitudes sont requises, comme l’acuité gustative et une puissante mémoire, et il utilise toute la richesse de son expérience pour mettre des mots sur ce qu’il sent. Il faut rêver des accords pour qu’ils se concrétisent et les connaître pour les imaginer. Lors de la dégustation, je dois envisager la puissance future d’un arôme, ou au contraire, son possible déclin.

Je ne crois pas que nous ayons un bon nez ; je pense que le nez c’est comme le sport : ça se travaille. Sentir…Tout le monde sent mais la difficulté c’est la connexion. Il faut son nez et sa mémoire, raccrocher à son cerveau les odeurs connues et les identifier. Pour ça il faut s’entraîner. Quand vous êtes entraîné à chercher une odeur, vous la trouvez. Sur le plan gustatif, même si nous manquons de données analytiques, l’intuition de chacun, verre en main, est primordiale. Ce qui est au fond d’un verre doit s’appeler l’émotion.

Je ne fais pas de régime alimentaire pour avoir un palais, une bouche, une langue. Il faut éviter de fumer six cigares par jours dit Michel en souriant. Mais j’ai fumé longtemps comme tous mes copains, comme Peynaud. Ce n’est pas une anomalie du métier, et je n’ai pas arrêté pour être meilleur ».

L’hostilité des contradicteurs de Michel Rolland a autant participé à sa renommée mondiale que la pertinence de ses recommandations. « Comme tous les vignerons de ma génération, je lui dois beaucoup et j’en suis conscient, dit Hervé Bizeul. Sans lui, sans les vins qu’il a produits, aurais-je la même sensibilité au vin ? J’en doute ». Daniel Cathiard résume : « Michel nous apporte la confiance qui nous permet d’oser et d’aller plus loin. Il nous aide à exprimer ce qu’on a de meilleur en nous et dans nos vignes. » Bernard Magrez affirme : « Sa force est qu’il perçoit immédiatement où il y a des progrès à faire. Il va très vite ». « Quand on me dit que j’ai du talent, je réponds que le talent, c’est dix-huit heures de travail par jour ! affirme Michel Rolland. Cette existence, entièrement dédiée au vin, m’a épargné l’ennui et a maintenu en moi une effervescence permanente. »

Partout dans le monde la signature du Flying Winemaker est recherchée, garante de succès, aux conseils sur mesure.

Michel et Dany Rolland, séparés dans la vie, restent soudés dans leur entreprise. Leurs deux filles travaillent avec eux ; Stéphanie gère le laboratoire et les affaires familiales ; Marie, graphiste, s’occupe de l’image et des outils de communication.
Michel et Dany Rolland possèdent le laboratoire à Pomerol, Château Fontenil, dix hectares en appellation Fronsac acquis en 1986, et le fermage de château La Grande Clotte, sept hectares en Lussac et Bordeaux blanc. Ils ont un château en Espagne, en Afrique du Sud et trois domaines en Argentine. Aujourd’hui sept collaborateurs travaillent pour le cabinet Rolland conseil et prestation, qui conseillent plus de cent vignobles dans le monde.

Propos recueillis par Laurence Lemaire, avec des extraits du livre Le Gourou du vin de Michel Rolland et Isabelle Bunisset (Ed. Glénat 2012).

Photo © Lili Renée
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le Vin, le Rouge, la Chine

Michel Rolland m’a aidée et écrit des textes édités dans mon livre.
Les 170 vignobles français achetés par les Chinois sont décrits : 158 Châteaux de Bordeaux, 10 vignobles en France, 2 Maisons de cognac.
Pourquoi ces vignobles sont-ils en vente ? Pourquoi les Chinois les achètent-ils ?
255 pages et 350 photos de Laurence Lemaire, préfacées par Alain Juppé et Alain Rousset.
Version numérique en PDF mise à jour au quotidien depuis 6 ans – 8€, et sa version papier en librairie mise à jour tous les 6 mois sont en vente sur ce blog et sur le site www.levinlerougelachine.com

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