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Beaucoup de choses ont été écrites sur l’affaire de Rugy : ses luxueux dîners en l’Hôtel de Lassay lorsqu’il présidait l’Assemblée nationale, la qualité des invités, l’opportunité de la dépense, la dichotomie entre actes et discours de l’homme politique. Concentrons-nous sur le côté oeno-gastronomique de l’affaire.
Oui, grâce à Mediapart, la voici : Mouton-Rothschild 2004 du centenaire de l’Entente cordiale entre l’Angleterre et la France (au moins 500 euros la bouteille); Château Cheval-Blanc 2001 (550 euros); Château Yquem 1999 (265 euros); Château Pichon-Longueville (100 euros); La Clarté de Haut-Brion 2014 (100 euros); Château Brane-Cantenac 2000 (120 euros); Pavillon rouge de Château Margaux 2003 (200 euros).
D’abord, un goût assez convenu : Bordeaux, toujours Bordeaux. Sans doute attendrait-on d’un représentant de l’Etat de servir des vins plus représentatifs de la diversité du vignoble hexagonal. Un petit Bourgogne ? Un Beaujolais ? Un vin du Roussillon ? Un Bandol ? Si l’on voulait absolument du Bordeaux, on pouvait essayer un graves ou encore un pomerol. Ensuite, et c’est le plus important, les époux de Rugy – sans volonté de personnalisation, mais c’est en leur nom qu’ont été envoyés les cartons d’invitation – montrent une préférence certaine pour les étiquettes d’un prix certain. Qu’importe le flacon… pourvu qu’on ait l’étiquette.
Permettez une incise à ce propos, car tous ces grands crus très chers soulignent un phénomène : le changement de statut du vin, phénomène analysé dans mon dernier livre Pourquoi boit-on du vin ? (Ed.Dunod). Il faut savoir que le vin a de tout temps assumé des rôles et des tâches différentes. Depuis le nouveau siècle, certains vins, ceux de monsieur de Rugy précisément, sont en train de changer de statut. Ces références ne sont plus abordables pour le commun des mortels, même avec un effort financier considérable. Les étudiants en écoles de sommellerie m’en font régulièrement la confidence. Yquem, Margaux ou Cheval Blanc ? Ils en étudient la description dans les livres car ils n’ont pas l’occasion de les goûter. Si vous demandez à leurs professeurs, la réponse fuse : « au siècle dernier, quand c’était à leur tour de réviser pour les examens, ils se rassemblaient à quelques-uns et s’offraient les bouteilles. La génération actuelle déguste les grands crus dans les bouquins, la précédente se les partageait. »
Les vins d’Yquem, Margaux ou de Cheval Blanc sont tous exactement cités dans mon livre et sont tous exactement servis à la table des époux de Rugy. Prescience ? Que nenni. Coïncidence ? Non plus. Nous assistons à la confirmation de la théorie par l’expérience, fût-elle décriée. Les vins inabordables passent de produit hédonique à produit de luxe. En changeant de statut, le vin change le statut… du buveur. La théorie du ruissellement fonctionne pour quelques fortunés élus : en sirotant un verre de Margaux, on participe à une autre position sociale.
Il faudra se souvenir de glisser à mon éditrice une petite annexe lors de la prochaine édition (croisons les doigts) avec un conseil à donner aux futurs sommeliers. Plutôt que de se farcir les descriptions dans les bouquins, qu’ils écrivent à monsieur de Rugy afin de participer à une petite sauterie ; ils trouveront à déguster les vins dont toute la planète parle. Si l’idée est acceptée, on pourra tout reprocher à ces dîners sauf de ne pas former nos futurs sommeliers.
Voilà une autre question qui m’a été posée. Non, ni les rois, ni les présidents, ni les princes ne passent leur vie à déguster des crus classés 1855, surtout les premiers (Lafite-Rothschild, Latour, Margaux, Haut-Brion, Mouton-Rothschild et Yquem) – je ne m’aventure pas concernant les dignitaires chinois ou les émirs du Golfe. Pour ne prendre qu’un seul exemple, le président Hollande n’abusait pas de Yquem, il en servait occasionnellement comme lors d’un dîner avec la reine Elisabeth II le 6 juin 2014. Pour le Cheval Blanc, ce fut lors de la venue du président tunisien Béji Caïd Essebsi le 7 avril 2015.
Ordinairement, le vin sert à accompagner un bon repas, extraordinairement à épater les invités. Monsieur de Rugy a mis en pratique une règle de sommellerie implicite, souvent peu avouée mais efficace. Il faut servir des mets onéreux avec des vins dispendieux. Voilà une nouvelle application de la règle du en même temps chère au Président Macron. Corollaire : quand on boit des étoiles*, on se brûle les ailes (dicton d’Icare), toujours en même temps. Je répondais à un internaute de Twitter qui suggérait un pouilly-fuissé (chardonnay de Bourgogne) afin d’accompagner les homards géants. Excellente pioche. Cela dit, un vin liquoreux fonctionne également. Ce ne sont pas les propositions qui manquent, tant à Sauternes qu’à Barsac. On peut descendre vers Jurançon récupérer le vin qu’adorait Colette ou filer en Alsace avec les magnifiques sélections de grains nobles. Pourquoi diable avoir choisi Yquem ? Retour à l’explication 2.
Homard et château d’Yquem : François de Rugy commet une faute de goût pour l’interprofessionnelle des Vins d’Alsace.
Attention au glissement sémantique. Ce que la France a classé au patrimoine immatériel de l’Unesco en 2009, et qui peut être catalogué comme relevant de la culture française, est le repas gastronomique des Français. Celui-ci contient bien “l’esthétisation de la table, la succession des services, le mariage des mets et des vins, les conversations autour des mets”, toutes choses que monsieur de Rugy a mises en oeuvre, mais surtout “le repas gastronomique rythme la vie des membres de la communauté. Il resserre le cercle familial et amical et, au delà, renforce le lien social. Il constitue un repère identitaire important et procure un sentiment de continuité et d’appartenance”, toutes choses que les dîners en l’Hôtel de Lassay n’ont pas contribué à faire. En cela, les repas de monsieur de Rugy ne peuvent être assimilés à la culture française.
François de Rugy et Séverine de Rugy, journaliste au magazine Gala (c) (Patrick KOVARIK / AFP. Selon Mediapart , le média d’investigation, François de Rugy et son épouse Séverine auraient organisé une dizaine de dîners de gala à l’hôtel de Lassay, entre octobre 2017 et juin 2018, dans lesquels ils invitaient à chaque fois entre dix et trente amis. Photos à l’appui, Mediapart révèle que sur la table les homards géants côtoyaient des grands crus issus des caves de l’Assemblée et que tout cela était financé avec de l’argent public
Les 166 vignobles français achetés par les Chinois sont décrits : 154 Châteaux de Bordeaux, 10 vignobles en France, 2 Maisons de cognac.
Pourquoi ces vignobles sont-ils en vente ? Pourquoi les Chinois les achètent-ils ?
255 pages et 350 photos de Laurence Lemaire, préfacées par Alain Juppé et Alain Rousset.
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