14 12 14 – La Chine est-elle le meilleur parti ?
L’économiste financier Jean-Paul Tchang est né en Chine en 1949. Il a quitté son pays fin 1961 avec ses parents. Ses propos m’ont aidé à écrire ce texte.
La Chine est devenue un sujet incontournable, le Chine bashing est à la mode. Le public occidental semble soudainement découvrir que la Chine est devenue une grande puissance économique et s’en inquiète ; pourtant, pendant longtemps, il s’était désintéressé de ce qui s’y passait, sauf pour le massacre de Tien An Men : dans une réaction de rejet, le public s’est détourné de ce pays de ”barbares” dont les dirigeants tiraient sur la jeunesse.
En 2004, la Chine était devenue la septième puissance économique du monde : l’importance des relations commerciales et financières sino-américaines est devenue évidente et les interrogations ont commencé.
Dans la gestion de la crise en 2008, la Chine a joué un rôle très apparent : son plan de relance est le deuxième du monde par son importance, après celui des Américains.
Même si la France a associé la Chine au nouveau G20, ‘’on’’ s’interroge : «La Chine est-elle une menace pour le reste du monde ?» La Chine était un pays totalitaire, son régime est aujourd’hui autoritaire ; certains le voient comme une dictature.
L’État chinois est dirigé par un Parti unique de 80 millions de membres. Le président du Parti communiste chinois est en même temps le Président de la République populaire de Chine. Depuis 1979, le Parti réforme l’économie : il n’y a plus de lutte de classes car il s’agit d’aller vers une société de ‘’petite prospérité’’ Quand Deng Xiaoping a passé le pouvoir à Jiang Zemin en 1993, l’Union soviétique s’était écroulée et le camp socialiste d’Europe de l’Est avait disparu. La Chine a eu besoin du capitalisme ; ceux qui participaient à ce développement, les capitalistes, avaient toute leur place à l’intérieur du Parti, qui recrutait ses nouveaux membres dans l’élite des grandes écoles de Chine.
Un Comité des actifs de l’État regroupe quelques 130 grands groupes industriels chinois ; la nomination de leurs dirigeants est sous le contrôle du Parti. Souvent cotés en bourse, ils contribuent au PIB (produit intérieur brut) chinois. Cela n’empêche pas l’existence d’un espace, de plus en plus important et actif, de secteur privé : c’est ce marché qui décide du prix des biens et des produits, des services, autrefois fixé par l’État. Cela s’est fait de manière progressive.
En 1984, les ‘’zones d’économie spéciale’’ de Shenzhen face à Hongkong, et de Zhuhai près de Macao ont introduit le capitalisme et le marché, provoquant des conflits entre les réformateurs et les conservateurs du Parti. Deng Xiaoping expliquait : «Il est normal qu’une partie de la population s’enrichisse plus rapidement dans un premier temps avant que la richesse ne se diffuse dans le reste du pays.» La zone économique spéciale de Pudong à Shanghai a réveillé sa région. Aujourd’hui, l’ensemble des entrepreneurs privés peuvent mettre en garde le gouvernement : si les crédits venaient à manquer, un nombre considérable d’emplois risqueraient de disparaître.
Pékin a fermé plus de 5 000 bureaux de représentation des provinces : cette chasse au gaspillage n’était qu’un prétexte car ces bureaux se livraient à un lobbying très actif pour influencer le gouvernement dans ses décisions économiques.
La Chine a retenu dix secteurs à soutenir pour que la croissance ne s’écroule pas, dont les hôpitaux, les infrastructures, le chemin de fer, les écoles ; l’immobilier a finalement été retenu. Le plan de relance consacré à la protection sociale est infime (10%), alors qu’une opération de l’appendicite peut représenter des mois de salaire ; 30% de la population bénéficie d’un régime de retraite.
Le Parti a laissé l’économie de marché s’installer. Les Chinois ont créé des bourses, des marchés à terme, des marchés interbancaires pour faciliter la circulation des capitaux. Ils ont attiré les capitaux étrangers ; ils ont su utiliser la main d’œuvre bon marché chinoise et exporter ses produits. L’ouverture de la Chine s’est traduite ensuite par l’implantation de groupes multinationaux qui ont besoin de sous-traitants, entraînant des délocalisations.
Mais non, elle n’est pas la cause de notre chômage.
La Chine était la 1ère puissance mondiale au XIXème siècle ; depuis 3 siècles, elle exportait ses textiles, ses faïences, ses meubles, ses épices, puis son thé dont les Anglais étaient devenus extrêmement friands. La guerre de l’opium de 1839 provoquera le déclin de l’Empire de Chine, laissant 5 ports de commerce à la disposition des Occidentaux.
En 2008, la Chine a été surprise face au risque d’un effondrement de son économie fondée sur l’exportation. La crise économique prouve que son marché domestique doit prendre le relais mais ce n’est pas si simple : cela suppose des réformes fiscales importantes. Cela exige aussi de faire tomber de nombreuses barrières protectionnistes provinciales à l’intérieur d’un pays si grand. Il est plus facile d’ouvrir une lettre de crédit en faveur d’un acheteur étranger qui a l’appui des banques chinoises, qu’à un acheteur d’une province perdue. Les méfiances entre les provinces freinent la transformation de l’économie de l’exportation vers celle de la consommation domestique. Il y a aussi un problème de prix: les revenus tirés de l’exportation sont bien plus importants que ceux donnés par le consommateur chinois.
La dé-mondialisation, la régionalisation seraient leur solution. Les mesures protectionnistes conduisent vers cette direction. Les dirigeants chinois se posent beaucoup de questions à ce sujet. La Chine doit gérer prudemment sa montée en puissance pour avoir la Paix.
Le réveil de la Chine provoque des tensions mais il faut souligner que son développement est parfaitement légitime. «Si nous avions fait des projections un peu plus réalistes sur ce qui allait se passer avec la Chine, nous n’aurions pas commis des erreurs stratégiques irrattrapables» souligne Jean-Paul Tchang. L’économie française n’a pas suivi les moteurs des pays émergeants ; elle n’a pas investi.
Les Chinois devenus riches se disent que, s’ils sont devenus riches c’est parce qu’ils ont travaillé ; ils ne doivent leur réussite qu’à eux-mêmes. Les autres ont l’impression qu’il y a de l’espoir, que leurs descendants vivront mieux qu’eux, qu’ils vont vers la petite prospérité. Le Parti garde sa légitimité.
Début décembre 2014, la Chine est devenue la 1ère puissance économique mondiale devant les Etats-Unis, mais le niveau de vie moyen des chinois est encore inférieur de 25% sur celui des Américains.
«La Chine ne mérite ni tant d’indignité ni trop d’honneur. Il s’agit de l’aborder avec un ton juste, chose que, étrangement, on n’arrive pas à faire en France, dit Jean-Paul Tchang. Aujourd’hui, la tendance lourde est à la critique systématique. Pourtant, compte tenu de l’importance de l’enjeu, il conviendrait de se calmer, de tenir compte des intérêts bien compris du pays et de prospecter toutes les possibilités.» Le dialogue est indispensable, fondé sur une meilleure connaissance de l’autre, et sur la base du respect mutuel.
La montée en puissance des uns ne veut pas dire que les autres s’appauvrissent.
En novembre 2014, l’Etat français a attribué au consortium sino-canadien Symbiose 49,9%, sur les 60% qu’il détenait, de l’aéroport de Toulouse-Blagnac. «Pourquoi eux ? Pourquoi pas des investissements privés français ? La Chine est-elle le meilleur parti ?» Le français est vexé, d’où les débats sans fins sur le péril jaune. Il ne reproche pourtant rien aux Etats-Unis (1er investisseur), au Quatar, au Japon, à la Norvège…
Rassurez-vous amis Français : si l’on retient comme indicateur de la puissance économique d’un pays sa richesse nationale par habitant, la Chine dégringole à la 89ème place d’un classement mondial dominé par le Qatar.
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Le Vin, le Rouge, la Chine sur les investissements des Chinois dans les vignobles français : Les 112 domaines sont décrits. 232 pages et 350 photos de Laurence Lemaire, préfacées par Alain Juppé et Alain Rousset. Versions papier 20€ et numérique 8€ seulement sur www.levinlerougelachine.com